Conférence de Comlan SEGLA

Conférence de Comlan Segla à l’Institut de Formation Publique Varois des professionnels de Santé à Hyères : “Construction théorique d’une psychothérapeutique du Fâ”.

Résumé de la thèse de Comlan SEGLA

Face à la maladie et au malheur, toutes les sociétés ressentent la nécessité d’interroger le futur et d’en influencer le cours. En ce sens, la divination, l’oracle, le pronostic sont liés au fonctionnement des savoirs et des pratiques de santé d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs. Dans l’aire culturelle ajatado, l’oracle divinatoire, c’est-à-dire la mantique du Fa, renseigne sur le destin, grâce à la médiation du maître des secrets, le bokɔnɔ. Cette mantique du Fa est constituée d’un stock de paroles qui sert à soigner le corps-âme, le corps-groupe social, le corps entendu au sens de soma-psyché. La personne-personnalité est en interaction sociale, de manière permanente, horizontalement avec les partenaires sociaux et verticalement avec les esprits, c’est-à-dire les dieux ou divinités, les génies ou êtres-forces que constituent les vodun. Dans cette perspective, la mantique du Fa, apparaît plus apte que tout
autre objet à faire comprendre la portée de la clinique endogène dans l’espace socioculturel ajatado. Elle est le lieu d’émergence de différentes prérogatives culturelle, mythique et interprétative.
La mantique du Fa a été explorée grâce à l’ethnométhodologie qui étudie la façon dont des participants à une activité lui confèrent à cette dernière une intelligibilité propre. Il en résulte l’hypothèse selon laquelle la tradipratique ne peut produire réellement son effet que sur la base d’une adhésion totale et aveugle dans les fondements socioculturels qui ont servi à la mettre au jour, à l’élaborer, puis à la codifier.
La mantique du Fa, par certains de ses aspects, est structurée comme un langage qui énonce des messages que le bokɔnɔ, devin et guérisseur, essaie d’interpréter. Ce langage est une configuration de tracés appelés « Fadu ». Ils constituent les oracles géomantiques basés sur une série de figures, chacune composée de quatre lignes de signes, pairs ou impairs. La géomancie du Fa induit ainsi un système théorico-clinique descriptible avec exactitude par le psychologue clinicien qui y adhère. Le choix porté sur la mantique du Fa pour élaborer cette thèse est sous-tendu uniquement par des raisons de méthode. Cette mantique est intimement liée à la personnalité du sujet d’Ajatado.
Au demeurant, la mantique du Fa pose des questions qui transcendent la simple divination. Elle ne cherche pas uniquement à explorer les inquiétudes de ceux qui viennent y chercher secours, réconfort et consolation. Comme toute clinique en effet, elle a pour objet de soulager la souffrance réminiscente inconsciente de l’existant humain. Elle instaure une certitude capable d’affecter nos idées et nos actes, celle de la réalité psychique inconsciente. C’est la raison pour laquelle, elle paraît susceptible de se constituer en « Fathérapie », c’est-à-dire en une psychoclinique induite et gouvernée par le Fa.

 

Intervention de Comlam SEGLA à l’Institut de Formation Publique Varois des Professions de Santé

« Construction théorique d’une psychothérapeutique par le Fâ »

Cette intervention s’appuie sur le recueil de données relatif au travail de recherche sur le terrain en vue de la production d’une thèse d’Etat. Cette thèse sera probablement soutenue fin 2010.  Une synthèse plus détaillée sera alors mise en ligne sur le site MANIOC.

 La conférence est destinée à un public d’étudiants infirmiers qui séjourneront quinze jours à Abomey (Bénin) en novembre 2010. L’objet de cette conférence porte sur la conception et la prise en charge d’un trouble psychologique par le thérapeute traditionnel. Cette intervention s’inscrit  dans l’esprit des textes fondateurs de MANIOC  c’est-à-dire le développement d’échanges culturels qui permettent la reconnaissance réciproque des spécificités socioculturelles des uns et des autres.

PRESENTATION DU CAS

INTERPRETATION DU CAS

Un problème se pose, par exemple la stérilité d’une femme. Que fait-on ? On a recours au Bokonon. Y a t il une autre alternative ? Oui. Consulter le médecin moderne. Mais dans une campagne, coincé dans un village difficile d’accès  pour  atteindre les soignants modernes, on a nécessairement recours au Bokonon. La consultation du Fâ révèle un malaise : les signes ou « dou » l’attestent. Entre les conjoints existe une mésentente. A la source une incompatibilité, une mésalliance ignorée par les protagonistes. Les familles des conjoints connaissaient un différend non élucidé. Que recommande le Fâ : un sacrifice qui consiste à donner à manger aux mânes des ancêtres en vue d’une réconciliation et d’un apaisement de la tension.

  1. Le malaise exhume des profondeurs de l’oubli un différend qui met en évidence un conflit intergénérationnel.
  2. Le Fâ, une codification de la parole de l’ensemble (du collectif) met au jour ce malentendu source d’une mésalliance.
  3. Le Fâ recommande la mise en œuvre d’un sacrifice pour apaiser et réconcilier les ancêtres qui continuent de veiller chacun, de l’au-delà,  sur  la prospérité du lignage.
  4. Le sacrifice  (« vo ») : donner à manger aux ancêtres pour éloigner l’agressivité. Le repas communiel sera l’occasion de rapprocher les protagonistes. Les éléments constitutifs du sacrifice sont apportés par chacun des membres de deux familles (cotisations, huile, farine, céréales, légumineuses, volailles). La quote-part apportée par chacun (modique ou symbolique) est le gage d’une bonne disposition pour évacuer le malaise et permettre la réconciliation. La maladie individuelle donne l’alarme du malaise du groupe. Le repas communiel devient le ciment de la cohésion communautaire qui revivifie le groupe.

 

Mais comment se résout le problème au niveau de la patiente.

  1. La perturbation  n’est plus une affaire personnelle car le groupe s’en est chargé. Il y a donc une sorte de relâchement somatique qui s’instaure et vient soulager psychiquement la consultante. Elle n’est plus seule à supporter l’angoisse de la stérilité.
  2. La manipulation dont elle est l’objet et le renouvellement de l’alliance du groupe vont déclancher chez elle des élaborations mentales dont les effets bénéfiques sur le corps réamorcent les sécrétions hormonales qui étaient déficitaires ou inhibées sous l’effet de cette angoisse. Lorsqu’elle est prise en charge par le groupe cela produit un effet émotionnel qui a nécessairement des influences sur son système nerveux central. Tout cela est renforcé par des médications traditionnelles et des incantations (des paroles lourdes devant produire nécessairement les effets escomptés) qui achèveront de conduire la patiente vers la guérison en faisant disparaître l’angoisse.

 

Ainsi fonctionnent des processus psychothérapeutiques en vigueur dans l’ethnie Adja-Fon au Bénin et c’est ces processus que nous envisageons d’appeler la Fâ-thérapie ou la psychothérapie par le Fâ.