Crédits photos : Marité Colombat
28 Février 2012, Porto- Novo, Plage des pêcheurs.
Silence total.
Bruits incessants des rouleaux.
Mer grise.
Volupté totale car limitée dans le temps.
Endormissement même.
On repart avec des grains de sable partout, les vêtements encore mouillés, mais remplis d’une sorte d’apesanteur qui nous rend légers.
Porto- Novo, Palais royal.
Nous allons rencontrer le roi Toffa IX.
« Apparition » silencieuse du roi coiffé d’une toque avec une inscription argentée portant son nom.
Une ombrelle blanche à la maison droite ornée d’un éléphant en guise de manche.
Le roi nous accueille avec des paroles lentes et respectueuses. Il demeure immobile, sorte de statue, sur son trône.
Puis il nous a autorisés à lui poser des questions.
Et là, sous le décorum un peu figé, nous avons découvert un homme sincère, franc et attachant.
Il semblait heureux d’être rattaché au monde dont on l’avait coupé : il regrettait son ancien métier d’expert maritime.
Nous étions stupéfaits de cette proximité soudaine, lui que personne n’a le droit de toucher.
On a gardé de cette rencontre un goût d’étrangeté et de complicité mêlées.
1er Mars 2012, Parakou,
Marché international Arzèkè. Les cuirs d’abord. « Bonne arrivée » en guise de bonjour. Accueil chaleureux.
-Des guirlandes de pochettes fauves accrochées en l’air.
-Un parterre dallé de nus pieds colorés et odorants.
La senteur forte du cuir.
-Puis des cartables au fond, tapissant le mur.
-Sur 2 bancs, à l’avant, des porte-monnaie, des cendriers, des porte-clefs.
-Dissimulés enfin, cachés mais pourtant présents, des « chicottes » (anciens martinets de chez nous) recouverts de peau de bœuf.
Nous avons tous « trouvé notre bonheur », quand on sait combien c’est difficile, et sommes repartis comblés. Les tissus et la nourriture ensuite.
-Multitude de panneaux colorés, bigarrés, chamarrés.
-Surpopulation dans les allées, déambulements insolites : carottes, oignons, bâtons à mâcher en guise de dentifrice, petites tomates rouges, packs d’eau, tampons « jex ».
-Amoncellements divers et toujours des gens allongés ou étendus dans leurs boutiques.
-Des enfants au sein.
-Bassines de piments rouges, graines de sésame en petits sachets et même des bouillons cube « MAGGI ».
-Partout des grappes de bananes, des tas d’ananas, des têtes de poissons et plein de mouches sur les viandes.
-Quelques battements d’éventails de fortune et toujours des enfants surgis de nulle part.
-Un vendeur d’horloge passe.
-Et la chaleur, et les gouttes de sueur.
Profusion,
Confusion,
Emotions.
2 mars, Parakou, Lycée Mathieu Bouké.
J’avais demandé au proviseur l’autorisation d’assister à un cours de français dans son établissement. Il m’attribua la première littéraire T2. Le professeur abordait la technique du commentaire composé. J’entrai dans une classe sans porte ni électricité avec des bureaux en bois où prirent place 41 élèves. Le texte d’Olympe Bhêly-Quenum « Un piège sans fin » fut dicté aux élèves : élocution claire, nette et chaleureuse. Ici pas de photocopies. Pour s’approprier le texte il faut d’abord l’écrire. Les élèves sont silencieux, disciplinés, ils notent avec obéissance ou… soumission. Le professeur gère ses déplacements dans la classe avec finesse. Quelques remarques ponctuelles lorsqu’il repère une faute d’orthographe en se penchant sur un élève. La correction viendra du groupe. Suivent ensuite 3 consignes pertinentes et explicites, cernant parfaitement la problématique du commentaire. Un quart d’heure de travail individuel pour essayer de répondre seul, aux questions. Présence silencieuse mais forte du professeur qui sait réassurer chacun : aucune volonté de piéger, de dominer, de donner l’impression que le savoir, viendrait d’en haut. Ensuite, par groupe de 6, mise en commun des réponses, sans aucune agitation collective. La prise de parole est contrôlée. « Vous faites le moins de bruit possible ». Tout est dans le respect de chacun. A midi, le travail est terminé. Les élèves ont été actifs 2 heures durant. On peut vraiment parler « d’activité de recherche » comme l’indiquait la consigne écrite en « I. », au tableau. Aucun signe ni de fatigue, ni de lassitude de la part du groupe classe. Mais une obéissance consentie et une concentration remarquable que l’on voudrait bien constater plus souvent chez nous. « Quel est le motif de votre visite ? », m’avait demandé le professeur à mon arrivée. Un peu surprise j’avais répondu : « l’intérêt du métier et non pas une curiosité quelconque ». Il m’avait rétorqué : « l’immersion, en somme ». Et c’est bien dans une immersion en pédagogie réussie que je me suis trouvée plongée, avec admiration et respect pour l’enseignant et ses élèves.
4 Mars, Houtokba, dans le Sud du Bénin.
Pirogue sur Rivière Noire appelée ainsi à cause des plantes aquatiques envahissantes. Embarquement sous un ciel plombé. Le piroguier, en tenue colorée, arbore une chéchia dorée sur la tête. Toujours un grand sourire sous l’ombre de l’immense perche. Une végétation luxuriante, peu commune dans ce pays : palmiers-rafia, oreilles d’éléphants, lys, arbres où s’abritent les singes. Nénuphars flottants et verdâtres, partout alentour. On circule sur un marécage aménagé par « l’homme mort », il y a 20 ans environ. Chaque riverain a sa parcelle. La traversée dure un quart d’heure : bruits constants de clapotis. Nous arrivons au village. Une vache blanche et noire nous accueille. Une autre, toute noire celle-là, nous regarde passer. Du monde aquatique au monde terrestre, sans transition aucune. Une femme aux seins nus nous a expliqué la fabrication de l’alcool distillé à partir du rafia. On en a bu un petit verre. Après la visite du jardin exotique (arbres à pain, colatiers) on débouche sur un potager tracé au cordeau. La surprise est totale. Il y a aussi un bassin d’élevage de poissons-chats destinés à la vente les jours de marché. Retour en pirogue, une jeune béninoise à ma droite et une autre à ma gauche,
5 Mars, Abomey Calavi, Embarcadère vers Ganvié.
Traversée en pirogue, hasardeuse, Equilibre précaire et balancements de notre piroguier est assis à l’arrière et se nomme « Dieu est grand ». Ce prénom inattendu nous rassure un peu. A l’approche de Ganvié, notre guide, Wilson, nous trace un historique du Précarité sous-jacente au premier coup Immobilisme évident et pourtant la vie qui surgit de partout: des enfants debout au bord du vide, des carrures d’hommes derrière des fenêtres évidées et toujours les pirogues qui passent inlassablement. Aucun metteur en scène ne pourrait jamais concevoir un tel décor pour aucun festival cinématographique. Puis pause bar « chez Raphaël ». Assis maintenant on a encore l’impression d’être sur l’eau et on voit les habitations « défiler » lentement comme en train lorsqu’on est à l’arrêt dans la gare et que c’est l’autre qui part. De l’eau partout et nous sommes hésitante. roulis inquiétants. village lacustre. d’œil. heureux. Retour, pourtant. Clapotis, eau grise, ciel chargé. Puis apparition de l’embarcadère. La terre ferme nous attend. On avait fini par s’habituer à l’eau.
Et puis il a fallu quitter la chaleur, les odeurs, les essaims de motos, tout un monde improbable. On va devoir laisser derrière nous les enfants et leurs cahiers d’école exemplaires, les règles d’orthographe parfaitement écrites et les réflexions de morale quotidiennes. Pourquoi tant de rigueur dans une école en désordre et en grève ? Et pourquoi tant d’approximation chez nous ? La rencontre des 2 systèmes d’enseignement provoquerait sans doute un feu d’artifice d’éclosions individuelles où tous les possibles seraient permis. A quand cet étonnement ?